20/01/2015

La faute à Claude Sautet

Je n'ai jamais eu la chance de travailler avec Romy Schneider. 
Les récits de ceux qui ont tourné avec elle sont ma seule consolation.

Romy Schneider par Helga Kneidl, 1973

Quand je pense à elle, je pense d'abord aux films de Claude Sautet. Tous ceux qui aiment le cinéma font cette association.
C'est dans "César et Rosalie", ou "Les choses de la vie" que la comédienne m'a marquée pour toujours.
La chanson d'Hélène que Romy interprète sur la musique du film "Les choses de la vie" me prend aux tripes. 
C'est comme ça.
J'ai beaucoup appris en regardant les films de Sautet. Je suis nostalgique lorsque je les revois, et je sais qu'il en sera toujours ainsi.
— Seriez vous insensible à la nostalgie, brigadier Dudu ?
— Non ! Mais j’aime pas penser à reculons. Je laisse ça aux lopes et aux écrevisses. 
"Un taxi pour Tobrouk" de Denys de la Patellière. Dialogue de Michel Audiard.

"Penser à reculons", j'aime ça. Quelque part, je dois avoir l'âme d'une écrevisse trouillarde.
Comme en littérature, au cinéma la chronique me plaît, surtout celle des années 70. Je connais bien l'esthétique vestimentaire audacieuse d'un monde baba cool. Les pantalons unisexes des femmes émancipées étaient pattes d'eph', les cols pelle à tarte et les chaussures compensées. Un monde insouciant où le chômage n'existait pas.
J'aime les transparences* dans les voitures avec le comédien au volant qui oublie de regarder la route. J'aime le trop plein de clopes qui se grillent et qui poserait problème dans notre société plus règlementée qu'à l'époque. Je ne peux regarder un gigot du dimanche en train d'être découpé, sans penser à la colère de François (Michel Piccoli) dans "François, Paul et les autres" et par cette chute "...vot' gigot à la con!"
La forme est perçue différemment pour chacun d'entre nous, mais le fond n'a pas pris une ride. Il y a les sujets que Sautet aborde, et sa manière quasi magique de faire surgir l'inattendu dans le quotidien des gens. Tout ce qu'il a raconté en quelques quatorze films sonne tellement juste, tellement humain.
L'idée que l'oeuvre de Sautet soit irrémédiablement achevée, me rend mélancolique. Ces choses familières et figées dans une époque que j'ai connue, aimée, sont passées. 
C'est ça, des choses à la fois éternelles et révolues, des choses qui sont de la vie ;-), des ambiances de repas, des engueulades, des soucis quotidiens, des problèmes de fric, des silences, des coups de gueule, de l'amitié, de la joie, de la convivialité, des femmes libres et belles, des hommes virils mais pourtant si fragiles.
Sautet n'a rien laissé au hasard, s'est posé toutes les questions. Michel Piccoli raconte que la grande préoccupation du cinéaste était d'être concret: "Moi, je veux être concret, sinon je ne peux pas..." lui disait-il. On sait aussi qu'il a piqué des colères éclatantes en tirant sur sa cigarette
"Il m'a appris - à moi comme à d'autres - l'importance d'un ressort dramatique souterrain, comme une corde cachée et tendue, courant sous le récit, avec de très brefs éclats, des ruptures violentes dont, à l'écran, les colères de Michel Piccoli auront été la plus juste expression: ces éclats étaient ceux-là mêmes dont Claude était coutumier." 
Jean-Paul Rappeneau, Le Monde du 23 juillet 2000.
Il a su raconter des histoires avec finesse et tendresse en traitant de la complexité de l'être humain sans aucune fausse note et dans un rythme parfait. Aucune réplique banale, aucune scène inutile, et des lieux qui reviennent sans cesse comme une obsession, comme les bistrots, oui... les bars.
Claude Sautet n'a jamais pu se passer d'y tourner. Réfléchir et regarder les gens
Son univers. Ces endroits où tout se noue et se dénoue.
L'eau ruisselle aux carreaux des bars de Sautet. 
Les acteurs y courent, en relevant leur col. Il faut se mettre à l'abri, continuer l'histoire à l'intérieur.

Claude Sautet et Romy Schneider sur le tournage "Les choses de la vie" 1969

Quand je lis un scénario "avec bar", ça m'attire. Récemment encore, je me suis demandée comment Sautet aurait fait. 
Et quand j'aime ce que nous tournons, je me dis qu'avec de la pluie ce serait tellement mieux...
On ne se refait pas.

*Transparence: C'est un procédé de trucage qui permet une surimpression en direct. Les personnages sont filmés devant un écran en plastique dépoli qui reçoit une image projetée en transparence. Lorsqu'on filme une séquence dans une voiture, le paysage défile ainsi derrière la fenêtre (arrière ou côté) de la voiture. Le comédien fait semblant de conduire. 

"Saxo" de Ariel Zeitoun. Akosua Busia (Puppet)
"Le temps de l'aventure" de Jérôme Bonnell. Gabriel Byrne (L'homme) et Emmanuelle Devos (Alix)



"Le temps de l'aventure" de Jérôme Bonnell. Gabriel Byrne (L'homme)



"La dame de trèfle" de Jérôme Bonnell. Malik Zidi (Aurélien) et Marc Citti (Pujol)



"J'attends quelqu'un" de Jérôme Bonnell. Jean-Pierre Darroussin (Louis Renard)
Romy Schneider, photo Eva Sereny 1972
Romy Schneider,