04/11/2013

Ingrid, fais semblant!

Chéreau disait "...je veux rentrer dans le regard de l'acteur ou de l'actrice...". Il excellait dans l'art de les diriger, mettant en scène les visages et les corps. Il parlait du plaisir à être proche d'eux, chuchoter à leurs oreilles, nourrir leur concentration.
Il aimait aussi, pour donner au travail de l'acteur une énergie insoupçonnée, que rien ne marche comme il avait prévu, que des choses imprévisibles arrivent.
En 1979, lors de la cérémonie de l'Américan Film Institute, au cour de laquelle Hitchcock reçut un prix pour l'ensemble de sa carrière, Ingrid Bergman rend hommage au cinéaste, et raconte une anecdote à propos de la direction d'acteur.
Sur le tournage de Spellbound (La maison du Docteur Edwards), et alors qu'elle éprouvait des difficultés à jouer, elle avait dit à Hitchcock:
- "Je ne le sens pas, je ne pense pas pouvoir te donner cette émotion".
Hitchcock s'était assis, avait tourné ses pouces quelques instants tout en réfléchissant et lui avait répondu:
- "Ingrid, fais semblant!" 
Cette manière que l'actrice avait eu de remettre en question les indications de jeu avait probablement titillé la patience et le sens de l'organisation de cet immense cinéaste qui avait horreur du chaos. Hitchcock avait résisté à tout désordre éventuel en faisant cette réponse sibylline. Il était sûr du but à atteindre, et peu lui importait le chemin qu'elle devait prendre pour y parvenir.
Ingrid Bergman avoue que ce fut le meilleur conseil qu'on lui ait jamais donnée parce que pendant les années qui ont suivi, beaucoup de réalisateurs lui firent des demandes difficiles. Et juste quand elle était sur le point de dire ce qu'elle en pensait, elle entendait la voix d'Hitchcock qui disait: "Ingrid, fais semblant!"

Hier avec Krzysztof Kieslowski et John Berry, aujourd'hui avec Jérôme Bonnell, je constate qu'en matière de direction d'acteurs, chaque metteur en scène choisit sa méthode. Tous ont su et savent, à leur manière, trouver les mots.
Sur un plateau, je vois toujours les comédiens écouter avec attention les indications de jeu, puis s'abstraire de l'agitation qu'impose la technique. Dans ces moments fugaces, j'attrape parfois des regards qui disent combien ils sont avec le personnage qu'ils interprètent.
Chéreau disait"...je veux rentrer dans le regard de l'acteur ou de l'actrice..." et il y est parvenu.
Pour ma part, je pourrais me noyer dans ces regards.

"La note bleue" de Andrzej Zulawski, Sophie Marceau (Solange Sand)
"La note bleue" de Andrzej Zulawski, Grazyna Dylong (Laure Czosnowska)
"La double vie de Véronique" de Krzysztof Kieslowski, Gilles Gaston-Dreyfus (Jean-Pierre)
"E-Love" de Anne Villacèque, Anne Consigny (Paule Zachmann)

"Séraphine" de Martin Provost, Yolande Moreau (Séraphine)

"Séraphine" de Martin Provost, Yolande Moreau (Séraphine)

"Séraphine" de Martin Provost, Yolande Moreau (Séraphine)
Isabelle Adjani et Patrice Chéreau, sur le tournage de La reine Margot

Alfred Hitchcock et Ingrid Bergman